Tactiles
Lâcher le virtuel et reconquérir le sensible.
SOCIÉTÉ
Valérie Marais pour le Déclic magazine
1/8/20243 min read


Notre société a grandement progressé en termes de technologie nous facilitant ainsi énormément la gestion de nos vies quotidiennes. Nous passons un nombre de temps phénoménal sur nos écrans et avons ainsi accès à des possibilités quasi infinies, de la communication, à la lecture, à faire nos courses à distance, à effectuer des visites immobilières, à retrouver de la famille à l’autre bout du monde. Et tout ça, sans bouger de notre canapé .
Loin de décrier le progrès. Que nous manque t-il ? Qu’avons nous oublié dans ce vaste virtuel dans lequel nous baignons nos quotidiens ?
Autant nous aimons nos écrans tactiles, autant nous oublions notre système sensitif. Nous sommes nés avec des sens, nous sommes nés pour toucher, goûter, palper, sentir par le nez et par la peau ce que la vie nous propose.
Ces actes somme toute naturels sont à l’origine de nos capacités d’êtres vivants et pourtant nous nous en éloignons de plus en plus, utilisant finalement beaucoup notre tête et bien moins notre corps.
Car c’est ici bien le sujet, nos sens sont intrinsèquement liés à la relation avec notre système corporel. Lire un livre sur une tablette est une expérience bien différente que de lire un livre en papier, sentir sous la pulpe des doigts le grammage du papier ainsi que son odeur. Combien de magazines snifons-nous encore ?
C’est notre sensorialité qui donne relief et saveur à nos existences.
L’actuel constat est que nous sommes de plus en plus coupés de nos corps et bien trop branchés à nos têtes. Pourtant, notre cerveau a besoin de contact physique. Marcher sur le sable chaud, glisser les pieds dans la mer un peu froide, passer la main sur une pierre rugueuse, mordiller un élastique, laisser fondre du chocolat sous la langue, exploser le jus d’un bout de clémentine en bouche, glisser une cerise entre nos lèvres, renifler le parfum d’une personne aimée, sentir le rayon chaud du soleil dans nos cheveux, aller à un concert, tous ces actes ont des bienfaits sur notre activité cérébrale.
D’ailleurs, mettre les mains dans la terre aurait un effet positif sur notre cerveau. On y trouve des bactéries non pathogènes qui amélioraient notre humeur, notre sommeil, joueraient aussi un rôle sur la mémoire et boosteraient notre libido.
Même si Descartes a proclamé « Je pense donc je suis », la vérité s’approche d’avantage de l’adage « Je ressens donc je suis ..vivant ».
Qu’attendons-nous pour replonger dans la vie, enfiler nos bottes en caoutchouc et sauter dans les flaques d’eau d’automne le dimanche ?
En matière de communication, nos ordinateurs et nos téléphones se sont tellement améliorés qu’ils nous permettent d’être joignables de mille manières, partout, tout le temps, et pourtant il n’a jamais existé autant de difficultés et de conflits autour de nos capacités à nous exprimer aussi bien personnelles que professionnelles. Ce progrès serait-il le reflet de nos dissonances intérieures ? A trop vouloir, nous n’en voulons plus. Les mails du boulot tard le soir ou le week-end, les notifications qui sans cesse sonnent, les téléphones qui résonnent, les montres connectées qui vibrent sans se lasser, les amis injoignables mais en ligne sur Facebook, les messages lus sans réponse sur Whatsapp, sans parler des couples dont le téléphone est devenu l’enjeu de contrôle, de méfiance et de disputes. Car désormais, nous exigeons, perdons patience, cherchons à être satisfaits instantanément sous peine de tragédie de frustrations et de querelles face à tant de malentendus, tant les fils de nos liens sont nombreux et s’emmêlent.
Comment renouer avec nos désirs insatisfaits ?
En nous souvenant, avec nostalgie, de nos bons gros téléphones à fil unique branché au mur, à la sonnerie grossière qui provoquait tant de promesses d’imprévus. En nous remémorant l’attente magique d’un éventuel retour de nos lettres d’amour écrites précieusement à la main et des longues journées à espérer, à guetter pour tenir enfin le courrier magnifiquement manuscrit et tant attendu entre nos mains tremblantes. N’étions-nous pas autant touchés que paisibles de ces liens plus simples et plus tangibles, bien que le temps jouait de nos impatiences ?
Les mouvements actuels de bien-être personnel, évoquant notre santé aussi bien physique que mentale, nous enseignent d’ailleurs à nous discipliner, à oublier nos téléphones, à retourner voir la vie celle qui vit, saute, éclabousse, sent la sueur et le bonheur, enveloppée des mains, des regards et des bras des gens qu’on aime.
Valérie Marais


