Au coeur de la médecine

Dans l'oeil du cyclone

SANTÉ

Valérie Marais

11/14/20255 min read

Elle, 23 ans, Lui, 22 ans, étudiants en médecine.

Depuis longtemps, Elle aime prendre soin des gens malades et s’intéresse au monde de la santé.

Depuis toujours, Il veut sauver, aider et soigner les hommes, les femmes, les enfants.

La rencontre avec les études de médecine est une évidence, une vocation chevillée au corps, ils s’y engagent avec passion, travail acharné et persévérance.

Ils valident leur cinquième année avant l’été.

Depuis la réforme, le concours d’internat intervient durant leur sixième année.

Ce concours, déterminant pour le choix de leur spécialité en médecine et le lieu de leur internat, est crucial et d’un enjeu capital.

L’écrit vaut pour 70 %, l’oral pour 30%.

Il englobe les connaissances de la troisième année jusqu’à la fin de la cinquième année.

Certains étudiants choisissent de redoubler une année afin d’obtenir davantage de temps de révision.

Elle et Lui appréhendent ce concours comme un marathon dans lequel ils s’investissent durement tout en gardant un équilibre avec leur vie personnelle et sociale.

Certains s’enferment littéralement pour rester uniquement axer sur le concours.

Mais pour toutes et tous, les derniers mois précédents le concours ressemblent à une routine identique qui consiste à dormir-se lever-manger-réviser-dormir-se lever-manger-réviser…accompagnée de la sensation d’être défini selon leur classement par les nombreux tests et concours blancs qui jalonnent cette compétition et le sentiment tout simplement de jouer leur vie.

C’est ce lundi 20 octobre 2025 que ces étudiants sont convoqués dès la fin de matinée tout d’abord pour tester les tablettes connectées à onze mille étudiants des facultés de médecine de toute la France métropolitaine et d’Outre-mer. Ils vérifient ainsi le bon fonctionnement de leur moyen d’épreuves écrites.

Après une interminable attente devant leurs appareils numériques, les responsables d’établissements confirment le bon fonctionnement du futur déroulé des examens du concours qui se tiennent toute la semaine jusqu’au jeudi soir.

Elle et Lui découvrent ainsi leurs camarades de marathon, parfois connus, parfois inconnus.

La pression commence à sérieusement monter, pas encore jusqu’au nez, elle reste plus bas, au niveau des entrailles.

En quittant les lieux, avant de venir s’y représenter l’après-midi pour la première épreuve, c’est le ventre noué qu’Elle et Lui grignotent dans un coin de la bibliothèque universitaire un sandwich qu’ils ne termineront jamais, faute de stress.

Retour dans l’amphithéâtre à 14h pour un début d’épreuve à 15h. Les étudiants déposent sur la table leur convocation, leur pièce d’identité, leur eau, leur médicament et nourriture déshabillés de tout emballage.

A 14h30, une annonce prévient "de quelques petits problèmes" les obligeant à reporter le début de l’épreuve à 16h. Une attente d’une heure trente commence. Celles et ceux qui avaient calé leur pause pipi sont décalés. L’ambiance se tend, la pression ressemble à un étau qui se resserre. La patience réclame de l’énergie d’autant que personne ne comprend trop ce qu’il se passe.

Certains étudiants signalent d’ores et déjà des tablettes défectueuses que les surveillants des lieux tentent de résoudre sans sembler inquiets pour la suite des évènements.

Les étudiants se divisent déjà en deux clans, ceux qui restent focus et ceux qui deviennent émotifs.

Les nerfs à fleur de peau et les coeurs palpitants pour tous.

C’est dans un silence insoutenable que l’épreuve débute enfin à 16H20.

Les étudiants découvrent les interfaces de leurs tablettes et planchent, concentrés, enfin sur leurs épreuves tant attendues.

Elle et Lui sont satisfaits de leurs réponses. Entre stress et soulagement, la sauce semble bonne.

Soudainement, vingt-cinq minutes avant la fin, un son de micro résonne dans les amphis.

Une annonce fatale est prononcée :

" Suite à un problème technique dans une faculté de l’hexagone, il y a rupture de l’équité, l’épreuve d’aujourd’hui est annulée et l’épreuve de secours est activée le vendredi 24 octobre. Vous pouvez rentrer chez vous. A demain, 14h".

Certains s’effondrent, d’autres fondent en larmes, Lui, sous le choc, reste immobile face à sa tablette avant de donner un violent coup de poing sur la table, Elle contient ses émotions pour garder ses yeux au sec, l’atmosphère est enragée, les têtes bien pleines prêtes à exploser, les corps sont vidés.

En se retrouvant dans l’entrée, Elle croise son regard, et face à Lui, Elle peut enfin relâcher les larmes salées de colère, de frustration, de tristesse et d’épuisement.

La peine des anciens qui viennent les consoler alourdit la leur. La peur que chaque jour reproduise ce lundi en enfer s’éveille. Les festivités sont anéanties.

Après une soirée agitée, le calme revient pour plonger dans les bras de Morphée sans trop se noyer.

Pour garder le cap, un reset est imposé. Il se refait la même soirée que la veille. Elle vide son sac et part se coucher, épuisée.

Après un sommeil réparateur, Elle et Lui, bis repetita, l’appétit perdu, retournent dans leurs amphis respectifs, espérant, un peu las et résignés, que l’épreuve sera validée.

Trois heures d’épreuve, en surchauffe moteur, Il se fait des pauses pour se refroidir le cerveau, pour ne pas brûler.

L’ambiance est carrée, tout roule.

Les jours suivants aussi.

Même si parfois les nuits ruminent les questions qui n’ont pas trouvé leurs réponses.

La semaine ressemble à l’infini.

Le vendredi, jour de la délivrance, ils arrivent éreintés mais confiants.

Ils s’installent, déballent leurs affaires avec le même rituel patient et minutieux .

Il coche sa question sur sa tablette, "Veuillez patienter" s’affiche.

Ça tourne, ça tourne, ça tourne et puis ça se déconnecte …

Il lève la main. IL aperçoit ses voisins lever la main aussi, puis toutes les rangées de l’amphi qui lèvent leurs mains….

Les surveillants courent partout.

Une annonce est faite d’un bug généralisé et demande aux étudiants de retourner leurs tablettes et de se lever.

Au bout de dix minutes interminables, le problème est résolu, les étudiants peuvent terminer leur épreuve (dans tous les sens du terme) tranquillement.

A la fin, Il a dû mal à atterrir et à se réjouir. Elle aussi, la joie qu’elle s’était imaginée met son petit temps pour débarquer et faire sourire les lèvres qui ont tant tremblé.

Pour clôturer en beauté, et tout de même se célébrer, ils sont trois cents étudiants à monter dans la bibliothèque universitaire de médecine pour décharger leur joie jaillissante et bruyante auprès des autres étudiants des différentes années qui potassaient dans le lieu même où durant toutes ces années se sont formés ces hommes et ces femmes promis au superbe métier de médecin.

Bravo, sera leur dernier mot.

Valérie Marais